jeudi 15 novembre 2007

La Prise de Sfax : un Massacre oublié par l’Histoire (3ème Partie)

Le canon du Colbert retentit, et l'escadre entière aussitôt répond : une grêle d'acier et de feux, franchit les eaux calmes du golfe et vient éclater sur la ville, réduire en poussières ses maisons, ses coupoles et ses minarets.
Un fracas de détonations, un embrasement du ciel par les obus de 187 kilos, qui saisit d'admiration les officiers et les matelots restés à bord de l'escadre, tandis qu'il inspirait une crainte instinctive aux trois mille hommes de débarquement empilés sur des chalands, et pardessus les têtes de qui passait toute cette mitraille diabolique

La ville de Sfax, pendant ce temps-là, brûlait et sautait, non sans difficulté, car les murs en sont terriblement durs, et plus d'un obus traversait les maisons sans les endommager gravement. Les Arabes appelaient la ville « Sfax la Forte », et non sans raison, car évidemment, si des forces européennes avaient défendu cette place, il eut fallu dix jours et vingt mille hommes pour l'emporter.

Les trois bataillons fusiliers marins de débarquement les plus importantes, celles du Colbert, de l'Alma, et de la Reine-Blanche, étaient commandées par les capitaines de vaisseau qui sont les commandants de ces bâtiments : Mr. Marcq de Saint-Hilaire, Miot et de Marquessac ; des lieutenants de vaisseau, des enseignes et des aspirants complétaient les cadres et conduisaient énergiquement ces 1,600 marins.
Le bataillon de 1,200 hommes d'infanterie commandé par le Colonel Jamais, envoyé de Rouen à Sfax uniquement dans ce but, s'approchait du rivage sur les chalands du transport la "Sarthe". Le Contre-amiral Conrad dirigeait l'ensemble sous les ordres du Vice-amiral Garnault.


Pendant ce temps, les Arabes qui défendaient la ville, au nombre de 3,500 à 4,000, s'enfuyaient dans les jardins inexpugnables de Sfax où ils étaient et sont encore, et les seuls fanatiques, estimés à 1,200, restaient pour se défendre corps à corps aussitôt que leurs batteries rasantes, armés de vieux canons rouillés, seraient aux mains des assaillants.

Les remparts de la Médina étaient durs comme du fer et capables de résister à une grosse artillerie. Les Arabes avaient raison de mettre leur confiance dans ces fortifications incroyables; il faut les avoir vues pour comprendre tout ce que 1,200 Arabes fanatiques ont pu en tirer.

L'Amiral Garnault, placé près du rivage, sur "le Desaix", fait signe de cesser le feu à huit heures, et aussitôt les gros canons et les canonnières se taisent. La ville flambe.
C'était le moment de s'emparer de la batterie rasante et de la Kasbah, situées l'une à droite, l'autre à gauche de la ville, toutes deux au bord de la mer.

Le débarquement s'opère sous une grêle de balles, que les insurgés tirent à vingt mètres. Les officiers de terre et de mer enlèvent alors leurs troupes, et une charge meurtrière commence dans une tranchée, profonde de deux mètres et protégée par de grosses balles d'alfa, où les Arabes se sont embusqués.

La première compagnie du 92ème de ligne, Capitaine Bouringuer, s'empare alors de la tranchée dans un combat corps à corps des plus brillants. Son Lieutenant, Mr. Marchand, et son Sous-Lieutenant, Mr. Dailly, tombent grièvement blessés ; six hommes et bientôt dix-sept sont mis hors de combat, tandis que les Arabes de la tranchées ont perdu trente-sept hommes en un clin d'œil.
Les jeunes soldats du 92ème, qui viennent de la Manouba, sont dignes de leurs aînés, et tout le monde s'attend, à Sfax, à voir la compagnie de la 92ème mise à l'ordre du jour de l'armée.

Pendant que les fantassins accomplissent ce fait d'armes, les marins placés plus à droite sur la plage se ruent comme de véritables tigres sur la batterie rasante, qu'ils escaladent sans faiblir, toujours en perdant du monde et toujours en abattant les Arabes.
Sans hésitation, un Quartier-maître du "Trident" arrive sur le sommet de la redoute et y plante le pavillon de son canot, qu'il avait emporté sans mot dire. Le pavillon est criblé de balles et le quartier-maître tombe raide mort, victime des traditions de la vieille France.
Il est aussitôt remplacé par dix autres que canardent les Arabes du haut de leurs remparts envahis. Cinq cents marins ont tourné la redoute, et la batterie rasante est prise. On fusille un lot d'insurgés qui cherchent à fuir, et les troupes sont maîtresses de la place dans toute sa longueur.

La guerre des rues commence alors : en effet, au premier moment d'effroi, beaucoup d'Arabes se sont réfugiés dans leurs caves et, de là, ils tirent à coups redoublés sur le 136ème, sur le 71ème, sur le 93ème qui, croyant la ville ouverte, s'avançaient rapidement vers le sommet des rues, qui vont toutes en pente vers la mer.
Les soldats, frappés par derrière, commencent à tomber en assez grand nombre. On fouille alors les maisons une à une ; on y fusille tout ce qu'on trouve les armes à la main, et une véritable chasse à l'Arabe commence dans Sfax déserte, pour se continuer trois jours encore.


L'Officier torpilleur de la Reine-Blanche, Mr. Debrem, Lieutenant de vaisseau, dont le concours a été des plus précieux, est chargé de faire sauter avec du fulmi-coton des pâtés de maisons où les Arabes se défendent à outrance. Ce procédé expéditif terrifie ceux qui ne sont pas écrasés, mais ils n'implorent aucun pardon.
La défense de Sfax par les Arabes a été héroïque, autant que le bombardement et l'assaut par nos troupes ont été dignes des plus beaux faits d'armes de l'armée d'Afrique.

Il ne faut pas s'y tromper, la prise de Sfax est un fait de guerre autrement important que tout ce qui s'est passé en Tunisie jusqu'à cette date.

A suivre ...

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